La séance est brièvement ouverte par Marcel Jean qui nous annonce que pour une fois, on peut enregistrer ou filmer la séance. ça tombe plutôt bien, car j'ai pris un enregistrement audio quasiment inaudible que j'ai péniblement décrypté par la suite... La séance est animée par Xavier Kawa-Topor et la traduction assurée par Ilan Nguyên, deux grands spécialistes de l'animation en général et de l'animation japonaise en particulier. Le producteur (depuis peu retraité) Toshio Suzuki est présent dans l'audience mais ne participera pas aux échanges.
Xavier résume la carrière du maître et ses influences. Isao Takahata est largement moins connu que son ami et rival Hayao Miyazaki. C'est pourtant Takahata qui lancera la carrière de Miyazaki, en produisant notamment Nausicäa de la Vallée du Vent puis en co-fondant le studio Ghibli. C'est également lui qui a découvert Joe Hisaishi, une autre figure incontournable du studio. Il rappelle que Takahata est un grand francophile, admirateur de Paul Grimault et notamment de La Bergère et le Ramoneur (devenu plus tard Le Roi et l'Oiseau). Qu'il a étudié la littérature française et traduit Prévert (chapeau !). Qu'il serait dommage enfin de résumer sa carrière à l'immense Tombeau des Lucioles.
Une bande annonce de Kaguya-hime est ensuite projetée. Takahata monte sur scène. Extraits choisis :
Sur l'histoire du coupeur de bambous
- "Le conte de la Princesse Kaguya est un texte millénaire connu de tous les Japonais. Cependant, nous ne comprenons pas vraiment les tenants et aboutissants. Nous ne savons pas ce qui motive le personnage principal, ni pourquoi elle agit comme elle le fait. Mais la force symbolique de cette histoire est très forte."
- "Pour ces raisons c'est une histoire très difficile à adapter. J'ai eu le projet d'adapter ce conte en dessin animé il y a 50 ans. J'avais trouvé une solution pour rendre l'histoire claire sans la simplifier. Malheureusement le projet n'avait pas vu le jour. Bien sûr, il n'aurait pas du tout ressemblé à ce que vous voyez aujourd'hui. Au bout de 50 ans, je suis très satisfait du résultat."
- "J'ai dû compléter l'histoire pour la rendre cohérente, trouver une motivation pour l'héroïne, expliquer des faits obscurs dans le récit originel. Par exemple, d'où vient la culture de cette jeune fille née à la campagne."
- "Je n'aime pas le titre français, le Conte (en français dans le texte) parce que mon intention n'était pas de réaliser un conte de fées. Mon idée est de raconter la vraie histoire derrière cette histoire. Ce n'est pas de la fantasy (en anglais dans le texte). Toutes mes histoires sont ancrées dans notre monde réel, et non dans un monde imaginaire qui ressemblerait au notre. Depuis toujours, je cherche le réalisme."
Sur les personnages
- "C'est très compliqué de représenter l'intériorité des personnages. Décrire l'hésitation, les atermoiements, les sentiments que l'on arrive pas à contrôler. C'est un sujet qui m'intéresse depuis toujours."
Sur les influences
- "Frédéric Back a été très important dans ma recherche stylistique, et surtout son court métrage Crac (1981). Je pense à la scène de danse des villageois. On dirait que le peintre peint les mouvements en temps réel, ce qui est bien sûr impossible. C'est comme si le peintre avait réussi à capturer tous les mouvements image par image."
- "La peinture a aussi joué un grand rôle. La peinture Japonaise, les estampes bien sûr, mais aussi les peintres Français comme Cézanne. Dans ses dernière peintures, il laisse de grands espaces non peints tout en conservant un équilibre extraordinaire. J'ai commencé à utiliser cette idée dans Omoide Poroporo (Souvenirs goutte à goutte) pour les scènes de souvenirs qui ont de nombreux blancs, espaces vides."
- "Les histoires occidentales sont différentes des histoires Japonaises. C'est sans doute dû à l'influence du Christianisme, ce qui fait que les histoires sont en général assez éloignées des histoires Japonaises. Cependant, on retrouve une familiarité Japonaise dans certaines œuvres, comme Father & Daughter de Michael Dudok de Wit.
- "Néanmoins Kaguya Hime ne cherche pas à référencer un style particulier. Ce qui est important c'est s’inspirer du croquis, de l’esquisse, c’est-à-dire d’un geste tracé dans l’instant, comme une étape intermédiaire. Pour saisir un instant donné et le partager."
- "Dans ma jeunesse, j'ai vu Jeux Interdits, film qui a souvent été cité comme une influence pour le Tombeau des Lucioles. J'ai été marqué par la scène où les enfants creusent une tombe. Ils mentionnent tout ce qu'ils vont mettre dans la tombe et la fillette de 5 ans dit "les hommes" (en français dans le texte). Elle marque une pause alors qu'elle est prise par l'ampleur de ce qu'elle vient de dire. C'est un moment qui m'a bouleversé."
Sur la réalisation du long métrage
- "J'ai pu m'appuyer sur des talents extraordinaires du studio tels que Kazuo Oga et Osamu Tanabe. Ce sont deux génies dont la présence est essentielle pour Ghibli."
- "L'objectif était de faire comme si le dessin venait d'être tracé de manière spontanée devant vous. Le problème avec cette technique était de conserver un style homogène, une continuité de l'animation, une unité surtout dans les séquences avec beaucoup de mouvements."
- "Une scène se distingue particulièrement par son énergie et son impact (le vol sous la Lune, partiellement visible dans la bande annonce). J'avais eu l'idée de faire un autre film basé sur Heike Monogatari (le dit des Heike) qui se déroule dans un Japon médiéval violent. C'est là que j'ai trouvé l'inspiration, l'élan pour cette séquence centrale dans le film."
Sur la musique
- "J'ai écrit le texte de la ritournelle que l'on écoute à plusieurs reprises dans le film. C'est une musique qui exprime le thème général, une musique qui donne un mouvement circulaire: tourne, tourne, roue à eau. La musique était sur un rythme ternaire et il a été difficile de passer à un rythme à 4 temps."
- "Je connais Joe Hisaishi depuis très longtemps mais je ne voulais pas travailler avec lui alors qu'il travaillait déjà pour Miyazaki. Cela ne me semblait pas opportun, pas intéressant. Cependant les circonstances ont fait qu'une telle collaboration est devenue possible et je suis très heureux du résultat." (Pour donner un peu plus de contexte : un autre compositeur avait été annoncé pour le film mais il a été remplacé au pied levé par Hisaishi en Janvier 2013, soit quelques mois avant la sortie prévue du film. Par ailleurs Hisaishi était très occupé en 2013, ce qui se ressent à mon humble avis dans la BO qui est très belle mais assez minimaliste.)
Sur le futur
- "Je ne sais pas si Kaguya-hime sera mon dernier film ou non. Si toutes les conditions financières, artistiques, inspirations étaient réunies je pourrais encore faire un film."
- "Je ne sais pas ce que va devenir le studio Ghibli. Il y a d'autres personnes plus à même de répondre à la question, mais je ne suis pas cette personne."
1 De Cèbe -
Billet mis à jour d'après mon enregistrement audio.